Epistémologie de la géographie russe - Géosphère - Université d'Orléans Accéder directement au contenu
Ouvrages Année : 2022

Epistémologie de la géographie russe - Géosphère

Résumé

This textbook outlines the epistemology and history of Russian and Soviet geography from the 1870s to the 1990s. It presents the contribution of this school of thought to the epistemology of geography and the history of science, through the approaches, methods and major concepts, which, of Russian origin, have strongly influenced world geography. In order to understand why the great Russian and Soviet authors defined geography as the science of landscapes, this book provides the reader with many unpublished translations of founding texts, while placing them in their cultural context. Russian and Soviet physical geography can be called systemic, taxochorological and spherical.
Ce manuel retrace l’épistémologie et l’histoire de la géographie russe et soviétique des années 1870 aux années 1990. Il présente la contribution de cette école de pensée à l’épistémologie de la géographie et à l’histoire des sciences, à travers les démarches, les méthodes et les grands concepts, qui, d’origine russe, ont fortement influencé la géographie mondiale. Afin de comprendre pourquoi les grands auteurs russes et soviétiques ont défini la géographie comme la science des paysages, cet ouvrage met à disposition du lecteur de nombreuses traductions inédites de textes fondateurs, tout en les replaçant dans leur contexte culturel. La géographie physique russe et soviétique peut être qualifiée de systémique, taxochorologique et sphérique. Dans ses travaux des premières années du XXème siècle, destinés à apporter une nouvelle définition de la géographie, Lev Berg se distinguait, tout en s’en inspirant, de la pensée allemande. Grâce à lui, la géographie russe devenait la science des unités paysagères. Elle ambitionnait ainsi de dépasser tant le découpage régional que la science du paysage, pour atteindre à l’étude des interactions définissant les espaces à toutes les échelles. L’unité paysagère de L. Berg, elle-même suscitée par les travaux de son compatriote V. Dokoutchaev, pourrait devenir le complexe territorial, puis, grâce à l’approfondissement d’un bagage mathématique qu’il appelait de ses vœux, le géosystème. Les grands auteurs suivants s’en chargeraient. Allongé sur près d’une centaine d’années, le passage de la sovokoupnost, chez V. Dokoutchaev et A. Voeïkov, au complexe naturel territorial, chez A. Borzov et N. Solntsev, puis au géosystème, chez V. Sotchava et I. Guérassimov, a été suffisamment continu et relayé, pour garder au paysage sa place centrale. C’était pour mieux l’appréhender que les géographes russes orientaient leurs recherches vers l’étude, d’abord empirique, puis de plus en plus mathématique, des interactions. Mais, à la différence de l’approche écosystémique, la démarche des géographes russes était tout entière tournée vers la territorialisation de ces interrelations. Certes, de nombreuses écoles de géographie, à travers le monde, portaient un intérêt certain à la démarche systémique. Mais, d’une part, les Russes furent parmi les précurseurs, d’autre part, et surtout, ils étaient essentiellement pédologues et biogéographes, là où les initiateurs occidentaux, malgré de notables exceptions, étaient plutôt, à l’instar de R. Chorley, géomorphologues de formation. Peut-être cela fut-il une raison incitant les géographes russes à privilégier l’échelle planétaire et l’échelle zonale pour les plus grandes unités, et la méthode des transects et des périmètres expérimentaux pour cartographier les limites des faciès et des unités élémentaires, plutôt que de souligner l’importance du concept d’hydrosystème et de la méthode du bassin versant représentatif et expérimental. Concernant l’échelle planétaire, les travaux à peu près concomitants du biogéochimiste V. Vernadski et des géographes P. Broounov et A. Grigoriev permirent, dans le premier tiers du XXème siècle, de conceptualiser la biosphère, l’enveloppe externe de la Terre et l’enveloppe géographique. Dans les années 1960, A. Issatchenko opéra une synthèse géographique sous le terme d’épigéosphère, exprimant mieux, selon lui, le caractère superficiel de cette couche planétaire d’interactions. Peu après, F. Milkov en fit ressortir la couche la plus dynamique, où l’interpénétration de toutes les sphères donne à la vie végétale et animale sa plus grande activité. Il la nomma la sphère paysagère. Les travaux d’A. Grigoriev dans les années 1930 ont durablement marqué l’idée que les géographes russes se font de l’enveloppe géographique de la Terre. Pour lui, celle-ci était construite par l’intégration des interactions entre tous les composants. Ce « processus physico-géographique », fondé sur la transformation de l’énergie solaire n’avait cessé de se complexifier au fil du temps par la densification des interrelations, et l’apparition de la vie avait été l’une des étapes essentielles de cette complexification. De fait, la géographie physique devait se consacrer à l’étude des bilans thermiques et hydriques à la surface de la Terre. Cette vision conduisit les géographes russes à formuler des règles, notamment la loi d’intensité de Grigoriev et la loi de l’intégrité de Kalesnik. La place dévolue à l’action des sociétés humaines a varié chez les différents géographes physiciens. Elle fut particulièrement forte au tournant du XIXème et du XXème siècle, chez D. Anoutchine, qui avait fondé le terme d’anthroposphère pour étudier les stades culturels de sa formation, mais aussi chez A. Voeïkov, ou encore A. Krasnov. Dans l’entre-deux-guerres, A. Grigoriev la tenait pour importante dans le façonnement récent de l’enveloppe géographique, l’ère de l’influence majeure des sociétés humaines succédant, selon lui, à celle du développement de la vie organique. Quant à I. Guérassimov, il créa justement la géographie « constructive » pour tenter d’unifier la géographie physique et humaine, dont la transformation de la station expérimentale de Koursk en réserve de biosphère fut l’application concrète. Plus tard, dans les années 1970, F. Milkov reprit l’expression de paysage anthropique, forgée par A. Gojev en 1929, pour l’élever au niveau d’un concept, qu’il croisait avec celui de sphère paysagère, définie comme celle des paysages naturels anthropisés. Malgré cette prise en compte de l’action des sociétés humaines, tant dans le concept de géosystème que dans celui d’épigéosphère, la géographie soviétique préférait s’appuyer sur les critères physiques pour découper l’espace en unités taxonomiques de différents niveaux. Il est vrai que l’héritage de V. Dokoutchaev, énonçant la première loi de la zonalité dès le XIXème siècle, était resté puissant. Rebaptisées zones paysagères par L. Berg, ces ceintures se définissaient par un ensemble d’interactions entre le climat, la végétation et le sol, cependant que les traits de géomorphologie pouvaient perturber leur caractère latitudinal pour délimiter des domaines et des provinces disposés autrement. La grande avancée suivante eut lieu dans les années 1950, quand A. Grigoriev et M. Boudyko formulèrent l’indice radiatif de sécheresse, dont le calcul soutenait la « loi périodique ». Cette seconde loi de la zonalité mettait les mathématiques à profit pour déterminer les grandes ceintures planétaires et y repérer les latitudes de productivité optimale des formations végétales. Entretemps, certains géographes russes avaient commencé, dès les années 1930, à travailler sur les types d’entités géographiques en partant de l’autre extrémité, c’est-à-dire de l’unité élémentaire, que N. Solntsev nommait le faciès. Leur association en un complexe plus élevé, appelé ourotchichtché depuis L. Ramenski, lançait une démarche qui fut, dès le départ, assez largement mathématique et cartographique. Dès les années 1960, certains géographes s’employèrent à associer les deux approches, pour montrer que, partît-on de l’épigéosphère pour la découper ou des faciès pour les assembler, le taxon central restait le landschaft, le paysage. Pour V. Sotchava, porté sur les outils mathématiques et cartographiques, la subdivision de l’enveloppe géographique de la Terre en ceintures zonales et en grands domaines reposait sur les bioclimats, cependant que la cartographie des petites unités s’appuyait sur des critères avant tout géomorphologiques. Pour A. Issatchenko, enclin aux réflexions conceptuelles, le degré de complexité du géosystème, la réalité du milieu naturel pour ainsi dire, s’accroissait des plus petites unités vers les plus grandes, cependant que le degré d’abstraction de la construction typologique, le travail du chercheur en quelque sorte, augmentait des plus grandes entités vers les plus petites. Et, selon lui, ces deux parties de l’escalier se rejoignaient dans un géosystème nodal, le paysage.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03699880 , version 1 (20-06-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03699880 , version 1

Citer

Laurent Touchart. Epistémologie de la géographie russe - Géosphère. L'Harmattan, 250 p., 2022, 978-2-14-026697-3. ⟨hal-03699880⟩
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